Erreur médicamenteuse en gériatrie aiguë : pronostic vital engagé

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Erreur médicamenteuse en gériatrie aiguë : pronostic vital engagé

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  • Une infirmière est au chevet d'un patient âgé - La Prévention Médicale

Les médicaments identifiés à risques dans un service de soins doivent bénéficier d’une attention toute particulière tant lors de la prescription que lors de leur administration. Tolérer les modes dégradés place le patient dans une zone de vulnérabilité pouvant générer des accidents graves. Dans cet exemple, les barrières d’atténuation permettent de préserver le pronostic vital du patient in extremis.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 13/02/2025

Présentation du contexte

M. F., 85 ans, est adressé aux urgences pour une suspicion d’accident vasculaire cérébral (AVC). Ce dernier a déjà constitué quelques mois auparavant un accident ischémique avec heureusement une excellente récupération motrice. Plusieurs signes cliniques ont alerté la fille du patient : difficultés à la marche et respiratoire.

Le bilan réalisé aux urgences est rassurant, mais il est proposé au patient et à ses proches une hospitalisation en service de court séjour gériatrique (CSG) pour faire une exploration plus complète de cette altération de l’état général (AEG). Cette proposition est acceptée par le patient.

M. F. est donc installé en chambre individuelle en secteur d’hospitalisation. La prise en charge du malade est organisée : bilan imagerie médicale, consultations spécialisées (neurologie – cardiologie), bilan sanguin… Les soins s’enchainent sans difficulté.

Le matin du 3e jour d’hospitalisation, l’aide-soignante chargée de l’aide à la toilette retrouve le patient au sol ; il explique qu’il a chuté en se rendant aux toilettes (perte d’équilibre). Il est réinstallé en fauteuil, et le médecin prévenu de l’incident vient faire le point de la situation ; M. F. se plaint d’une douleur importante et constante de l’épaule gauche. Le médecin demande une radiographie en urgence et l’avis d’un chirurgien orthopédiste car il pense que le malade présente une luxation de l’épaule.

En fin d’après-midi, l’interne de chirurgie orthopédique confirme le diagnostic de luxation antérieure de l’épaule et avec l’accord de son sénior envisage une réduction dans le service. Il demande que soit administré au patient de l’Atarax® à la dose de 50 mg en per os à visée anxiolytique. Il précise qu’il repasse dans une heure, le temps d’action de l’Atarax®. Les proches de M. F. quittent alors l’hôpital, rassurés par les explications données ; ils étaient convaincus que la luxation allait être traitée.

L’interne revient, procède à 2 tentatives de réduction – traction-contre-traction de l’épaule – sans succès. Devant la douleur très importante que le malade exprime, il demande à l’infirmière, qui vient de prendre son service de nuit, de préparer une seringue de 5 mg de morphine, et d’en administrer 3 en IV. Il précise qu’il va voir un autre patient dans le service voisin et qu’il revient dans 10 mn, le temps que l’antalgique fasse son effet. 

Lorsqu’il revient 10 mn plus tard, il constate que le patient est encore algique et demande à l’IDE de faire les 2 mg restants. Le patient s’assoupit, la réduction de l’épaule est alors réalisée avec succès. Il demande à l’IDE de faire réaliser une radiographie de contrôle au lit du patient.

Cette dernière ayant pris beaucoup de retard dans son tour de soins de début de nuit, décide de faire conduire le malade en service d’imagerie ; elle appelle pour cela le manipulateur de garde pour expliquer que le patient va descendre avec le brancardier pour réaliser un examen d’imagerie de contrôle. 

Le service de brancardage est sollicité, le malade est emmené 10 mn plus tard, et ramené 30 mn plus tard de cet examen d’imagerie médicale. Le brancardier, une fois le patient installé en chambre, croise une des aides-soignantes présente et lui précise que "M. F. respire bizarrement".

Quelques 20 minutes plus tard, l’aide-soignante appelle l’IDE en urgence au téléphone car M. F. est cyanosé. Elle installe un dispositif d’administration d’oxygène et va chercher le chariot d’urgence. 

L’IDE arrive rapidement et devant la gravité de la situation (saturation en oxygène à 55 %) appelle le médecin anesthésiste (MAR) de garde. Il met en œuvre les mesures conservatoires, se fait expliquer la situation et demande que l’on appelle l’interne d’orthopédie en urgence.

Ce dernier arrive très rapidement et explique les éléments de sa prise en charge lors des informations données. L’IDE explique alors qu’elle a en fait injecté 5 ampoules de morphine et non 5 mg comme le précise l’interne. Un calcul rapide montre que le patient a reçu 50 mg.

Un traitement par naloxone est mis en route, le MAR fait transférer le patient en unité de surveillance continue (USC). Les suites de cette prise en charge seront favorables. Après 24 heures en USC, M. F. revient en court séjour gériatrique pour terminer son bilan pour AEG.

Conséquences

Cette erreur médicamenteuse, classée comme Événement Indésirable Grave, a eu comme conséquences :

  • Une hospitalisation en USC pour surveiller les suites du surdosage en morphine, avec adaptation du traitement de naloxone (antidote) et surveillance de ses paramètres vitaux.
  • La famille de M. F., et notamment son fils, est très mécontente. Ce dernier a manifesté sa colère au téléphone et demandé des explications à la Direction de l’établissement via un courrier "aux mots bien pesés" laissant envisager une procédure juridique dans un second temps.
  • Une équipe soignante catastrophée par l’événement, et plus précisément l’IDE qui a injecté cette dose excessive de morphine et l’interne de chirurgie orthopédique qui a fait une prescription orale.
     

Méthodologie et analyse

Même si cette erreur médicamenteuse a été atténuée par une bonne réactivité des professionnels présents, elle a été difficile à gérer par les professionnels de santé impliqués.

De plus, l’annonce de cet événement indésirable au sein de l’équipe a généré de nombreuses réactions. Certaines professionnelles ont pris conscience que cela aurait pu les impacter de la même façon.

Devant les réactions de l’équipe soignante de l’unité, la responsable des soins a demandé qu’une analyse de l’incident soit réalisée pour comprendre les raisons d’une telle erreur.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre les mécanismes de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

Cause immédiate

C’est le brancardier et l’aide-soignante qui ont détecté l’altération de la fonction respiratoire et porté l’alerte.

Causes profondes

 

Les conséquences de cet événement indésirable grave (EIG) pour le patient ont été médicalement maîtrisées in extrémis :

  • Les barrières d’atténuation ont été mises en œuvre avec une bonne efficacité, mais le pronostic vital a été engagé d’après le MAR appelé à la rescousse.
  • Les suites de la prise en charge de cette urgence vitale sont favorables.
     

Néanmoins, on recense :

  • Une grosse inquiétude et un énorme mécontentement des proches du patient prévenus de cette erreur.
  • Une énorme inquiétude pour l’IDE à l’origine de cette erreur médicamenteuse et un important sentiment de culpabilité clairement exprimé : une prise en charge par la psychologue du travail est nécessaire.
     

Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.

Barrières de défense

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Réflexions sur les modes dégradés organisationnels

Beaucoup de professionnels de santé acceptent de travailler en mode dégradé, sans réellement faire une étude d’impact en rapport avec la décision prise.

Dans ce cas précis, 2 modes dégradés ont été décidés sans analyse du contexte :

  • Mode dégradé concernant les effectifs paramédicaux : pas de prise en compte de la charge de travail et des compétences de la professionnelle présente. Un renfort avec un 3e aide-soignant aurait pu diminuer la charge de travail de l’IDE. C’est en tout cas la solution retenue a posteriori, même si elle n’est pas complétement satisfaisante.
  • Mode dégradé sur le lieu de la réduction de la luxation : la décision prise par le jeune praticien était bienveillante pour le patient (diminuer le temps d’attente à la réalisation de l’acte). Mais l’absence de prise en compte du contexte du service aurait pu être fatale au patient. Les compétences et l’organisation du travail proposées au bloc opératoire permettent des prises en charge plus sécure.
     

Réflexions sur les actions de sensibilisation pour la sécurité du médicament

Cette analyse a permis de prendre conscience du manque de culture de sécurité sur la thématique médicament. Trois axes sont retenus :

  • Sensibilisation sur la thématique des médicaments à risques : travail qui sera réalisé en interne par le groupe COMEDIMS.
  • Formation retenue dans le plan de formation de la structure de soins pour sensibiliser les paramédicaux à la sécurisation du process médicament.
  • Sensibilisation par le coordinateur médical de la prévention des risques sur les risques et le pharmacien sur les risques médicaux d’une prescription non conforme en Commission Médicale d’Établissement.  

Réflexions sur l’évaluation des compétences après période d’intégration

Cette étape est primordiale pour ne pas mettre en difficulté le professionnel de santé. Cette évaluation doit permettre :

  • D’identifier les compétences présentes et celles à acquérir pour être autonome au sein du service.
  • De proposer des organisations paramédicales sécure pour les patients pris en charge.

Conclusion

  • La sécurisation du circuit du médicament doit être une préoccupation constante des professionnels de santé et des structures de soins. 
  • L’approche systémique dans la construction d’une organisation est indispensable.
  • La bonne connaissance des risques doit éviter leur répétition, et ce pour tous les métiers impactés par la dynamique, même en période de formation et d’intégration.